Ce grand rendez-vous de l’agriculture bourguigno-franc-comtoise a livré de nombreuses pistes de réflexion sur ce à quoi pourrait ressembler le secteur dans quelques années. Une réflexion également nourrie par les chiffres de l’Observatoire prospectif régional, sur lesquels nous reviendrons dans notre numéro du 8 juillet.

Conférence régionale agricole
Pour ce retour en présentiel de la Conférence régionale agricole, l'amphithéâtre du Conseil régional avait fait le plein à Dijon.

« L’agriculture n’est pas un métier où il y a beaucoup d’avenir pour ceux qui veulent avancer seuls ». Cette phrase, c’est Christian Decerle, président de la Chambre régionale d’agriculture de Bourgogne-Franche-Comté (BFC) qui l’a prononcé, en clôture de la Conférence régionale agricole, organisé le 27 juin à Dijon. De fait, face à un avenir agricole composé d’autant d’incertitudes que d’opportunités, c’est l’inventivité et le travail en collectif qui pourraient devenir les valeurs maîtresses dans une région telle que la nôtre. Cette conférence régionale, qui faisait son grand retour après les affres de la crise sanitaire, proposait, dans les différentes interventions qui l’ont jalonné, des projections multiples pour un secteur à l’aube de grands changements. Climat et crise géopolitique sont aujourd’hui constamment invoqués pour expliquer cela et à raison, mais, de manière plus profonde, c’est la sociologie même de l’agriculture qui est en train de changer.

Paradoxe agricole

François Purseigle, universitaire et sociologue à l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse, dans l’intervention passionnante qu’il a donné à cette occasion, ne disait pas autre chose : « Il est illusoire d’imaginer un remplacement des exploitants agricoles qui vont partir en retraite dans les années qui viennent, de 1 pour 1. En France, nous n’avons jamais eu aussi peu d’agriculteurs (1,5 % de la population active), et jamais eu autant de profils différents d’exploitations… » Aux yeux du sociologue, on nage aujourd’hui en plein paradoxe en raison d’un point clé : l’offre agricole existante ne serait pas en adéquation avec les envies ou les volontés des nouveaux profils souhaitant s’installer comme agriculteur. Le défi, dans les années qui viennent, va donc consister à mettre en corrélation ces deux aspects. « Il faut être clair, poursuivait François Purseigle, l’exploitation ayant recours au travail familial en a pris un sacré coup : entre 2000 et 2016, c’est le modèle d’exploitation qui a le plus disparu. On constate que l’installation des enfants pour prendre la suite de leurs parents ne va plus de soi et on a donc dans le paysage agricole l’arrivée de nouveaux entrants aux profils très différents : des gens qui prennent un virage professionnel et qui entrent dans la profession relativement âgés et puis, à l’autre bout du prisme, des structures entrepreneuriales plus complexes, aux moyens parfois importants, qui peuvent être des ETA, des Cuma proposant de nouveaux services, des coopératives créant des filiales, voire des acteurs de l’agroalimentaire, français ou étrangers… On assiste à une banalisation de l’entreprise agricole ».

Rénover l’image des exploitations

Pour l’universitaire, il y a un travail à faire sur le repérage des exploitations à céder. Il faut aussi travailler à rénover l’image de l’exploitation agricole « en la présentant comme une entreprise au sein de laquelle une multitude de projets peuvent aboutir ». Une orientation qui n’est pas anodine lorsqu’on rappelle qu’aujourd’hui, en France, 12 % des exploitations agricoles sont déjà déléguées à des tiers ! Il y avait donc là de quoi nourrir une réflexion prolongée par la table-ronde organisée lors de cette conférence régionale, et portant sur le sens que l’on donne aujourd’hui au métier d’agriculteur. Les quatre témoins (Amandine Villard, ex-infirmière, en cours d’installation avec son mari dans un Gaec bovins allaitants en Saône-et-Loire, Lionel Masson, maraîcher bio du Jura, Vincent Mareschal, éleveur laitier du Doubs et Fabien Gibouret, céréalier bio nivernais) ont tous exprimé leurs espoirs, mais aussi leurs difficultés ou déceptions, la nécessité permanente de faire correspondre l’idée qu’on se fait de ce métier et les réalités socio-économiques. L’importance aussi des remises en questions que vous imposent le regard de la société, ou vos propres enfants. Il en ressortait pourtant quelque chose de très positif, une envie de faire, d’avancer, d’inventer, et la conscience aiguë de remplir un rôle social qui n’a rien d’anecdotique. Cette conférence régionale agricole, au cours de laquelle étaient aussi présentés les chiffres 2021 de l’Observatoire prospectif de l’agriculture en BFC aura rempli son rôle : faire ressentir le pouls d’une agriculture régionale dans laquelle, effectivement, les modèles à venir seront multiples, et ne laisseront pas beaucoup de place aux aventures trop solitaires…

Dans son introduction à la Conférence régionale agricole, Christian Morel, vice-président du Conseil régional de BFC, en charge de l’agriculture, a insisté sur le fait que les chiffres de l’Observatoire prospectif de l’agriculture (OPA), (réalisé conjointement par les services de la Chambre régionale d’agriculture et CerFrance BFC) constituaient un outil important « pour co-construire nos stratégies agricoles régionales futures ». Pour sa part, Vincent Landrot, président de CerFrance BFC, complétait ce propos en indiquant que l’OPA « est porteur de pistes de réflexion afin d’améliorer la résilience des exploitations agricoles, dans un contexte préoccupant révélé par les chiffres du dernier recensement agricole montrant une baisse importante du nombre d’agriculteurs en BFC ». Christian Morel a souligné qu’en 2021, toutes les productions agricoles de BFC avaient bénéficié d’un équilibre offre-demande, à l’exception de l’élevage porcin et du bio. « Le sujet de l’abreuvement du bétail, et plus largement de l’utilisation de l’eau, est aussi très important, rappelait-il. Je veux initier des actions complémentaires sur ce thème. La Région souhaite engager un travail avec Voies navigables de France (VNF) pour augmenter les réserves en eau. Je souhaite aussi accroître les Projets de territoires pour la gestion de l’eau (PTGE) ». Enfin, le préfet de Côte-d’Or et de Région BFC, Fabien Sudry a souligné la qualité de cet OPA qui couvre douze filières agricoles : « un outil important face aux enjeux de transmission d’exploitations, avec une population agricole globalement vieillissante ». Sur la question de l’eau, le préfet Fabien Sudry a exprimé le souhait d’installer un comité régional de l’eau, qui s’inscrirait dans le prolongement du « Varenne de l’eau » mené au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.