Analyse
L'agriculture peut-elle fonctionner comme si rien n'avait changé ?

Berty Robert
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L’intervention de l’économiste Thierry Pouch, invité des JA de Côte-d’Or, pose clairement la question d’un changement de paradigme impulsé par la guerre en Ukraine. Dans ce contexte, appliquer une PAC conçue dans l’ignorance d’un conflit que personne n’a vu venir a-t-il encore du sens ?

L'agriculture peut-elle fonctionner comme si rien n'avait changé ?
Thierry Pouch est responsable du service Etudes Références et Prospectives à Chambre d'agriculture France, docteur en sciences économiques et chercheur associé au laboratoire Recherches en économie gestion agro-ressources durabilité santé (Regards) de l'université de Reims.

Invité par les JA de Côte-d’Or à intervenir lors de leur assemblée générale, le 20 janvier, à Châtillon-sur-Seine, l’économiste et universitaire Thierry Pouch a livré une analyse tout à fait intéressante sur l’agriculture et son devenir. Il est un observateur averti des évolutions qui traversent le secteur et celles-ci ne manquent pas, depuis au moins une décennie ! Naturellement, le point de vue qu’il a développé à l’occasion de sa venue en Côte-d’Or comprenait le triptyque habituel selon lequel aucune tentative d’analyse des évolutions agricoles ne saurait se structurer aujourd’hui : changement climatique / crise sanitaire / guerre en Ukraine. Mais Thierry Pouch rappelait d’emblée qu’en France, en 2022, l’excédent commercial agricole aura été de plus de 11 milliards d’euros.

Les cartes sont rebattues

Les prix sont en hausse depuis près de trois ans mais l’inflation a aussi fait son grand retour. « L’agriculture, rappelait l’économiste, est incluse dans une économie globalisée où le risque zéro n’existe pas. En 2022, les charges énergétiques se sont alourdies et, pour 2023, on estime que la croissance, sur la zone euro, n’excédera pas 0,5 % ». Cette hausse des énergies rebat d’ailleurs fortement les cartes et quelques convictions qu’on croyait solidement établies : « On critiquait les États-Unis qui exploitent du gaz de schiste, pour des raisons environnementales : aujourd’hui on leur en achète ! L’Allemagne relance le charbon et la France est en quête d’un bon compromis à trouver avec l’Algérie, gros producteur de gaz, mais aussi gros client de l’agriculture française ». Avec ce redémarrage de l’inflation, Thierry Pouch se demande si nous ne sommes pas en train d’assister à la première crise de la transition vers des énergies non-fossiles : « plus les prix de l’énergie seront hauts, plus cela va nous obliger à aller vers une économie décarbonée ». Autre point important directement lié à la guerre en Ukraine, cette fois-ci : en 2023, la production de maïs devrait chuter de moitié dans ce pays et celle de blé de 23 %. Pour l’économiste, la question qui se pose alors est : qui va combler le vide et prendre la place vacante ? Et si c’était la Russie ? « elle vient de réaliser une récolte exceptionnelle à plus de 100 millions de tonnes de blé. Elle « tient » tout le monde avec un marchandage simple : vous aidez l’Ukraine ? Je ne vous vendrais pas mon blé ! Déjà on constate de manière évidente que ce pays cherche à faire reculer la France sur le marché algérien » . Il est évident que, pour certains pays, la question de la capacité à nourrir leur population pour éviter des désordres sociaux dépasse les préoccupations de préservation de la démocratie et, plus globalement, de valeurs propres au monde occidental, qui n’apparaissent pas prioritaires, aux yeux de leurs gouvernements…

« Revoir des logiques de fonctionnement ? »

C’est dans ce contexte que s’inscrit une nouvelle PAC qui paraît presque en décalage. « Tous les apports de la PAC, qui a eu 60 ans en 2022, sont aujourd’hui contestés, précise Thierry Pouch. On s’aperçoit qu’il est très difficile de définir ce que pourrait le nouveau modèle agricole, avec, en parallèle, le grand retour des notions de souveraineté alimentaire et énergétique. Lorsqu’on constate qu’en France, 50 % de l’approvisionnement en viande de volailles provient d’importation, on est en droit de se demander s’il ne faudrait pas revoir les logiques de fonctionnement au sein de l’union européenne… » De l’analyse de Thierry Pouch, il ressort que la gouvernance climatique semble avoir complètement oublié les réalités géopolitiques. En conclusion, l’universitaire considère qu’en agriculture, dans les mois qui viennent, la gestion du risque va se faire autour de « l’effet ciseaux » entre des prix qui pourraient baisser et des charges qui continueraient d’augmenter. « Il y aura peut-être la nécessité de revenir à des mécanismes régulateurs afin de lisser les difficultés qui pourraient se poser aux agriculteurs. Quant au Green Deal, alors que nous avons plus que jamais besoin de protéger notre agriculture, il serait judicieux de le réexaminer à la lumière du contexte actuel… »