Coopération agricole
« Il faut redonner à l'agriculture la capacité de nourrir la population »

Propos recueillis par Actuagri
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Alors que Dijon accueillait, les 13 et 14 décembre, le congrès national de la Coopération agricole, organisé pour la première fois en région, Dominique Chargé, son président, est revenu sur les sujets qui préoccupent actuellement le secteur.

« Il faut redonner à l'agriculture la capacité de nourrir la population »
Dominique Chargé, président de la Coopération agricole. (crédit DR)

Pour la première fois les coopératives de France ont tenu leur congrès national de façon décentralisée. Pourquoi ? Et pourquoi le choix de Dijon ?

Dominique Chargé : "C’est la première fois qu’un congrès des coopératives a eu lieu en région. Pour nous c’était important d’aller faire ce congrès au cœur des territoires et en l’occurrence en Bourgogne-Franche-Comté, un des berceaux de la coopération avec les coopératives fruitières. Ce congrès a été l’occasion de poursuivre un travail collectif que nous avons entamé début 2023 et qui a consisté à rencontrer des jeunes en régions. J’ai fait six réunions dans lesquelles j’ai rencontré environ 800 jeunes".

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ces rencontres ?

D.C. : "Ce qui nous a le plus marqués, c’est de voir des étudiants très inquiets parce que parfois en difficultés de pouvoir s’alimenter, certains disant qu’ils sautaient un repas. Ils se sont montrés à la fois préoccupés et attentifs à l’évolution de nos modèles de production et de nos modèles alimentaires. La précarité alimentaire, qui touche toutes les couches de la société, est au centre de la réussite de la transition de nos modèles. Nous coopératives, avons la mission d’apporter une rémunération à nos adhérents exploitants pour qu’ils soient en capacité de continuer à produire et celle d’apporter à l’ensemble des consommateurs une alimentation sûre, saine et équilibrée, tout en respectant l’environnement et le bien-être animal. Or ce que nous voyons, c’est que les problématiques de pouvoir d’achat ont conduit les consommateurs à se déporter vers une alimentation qui est importée. On importe 50 % des fruits et légumes que l’on consomme, 50 % des poulets, et chaque jour qui passe fait perdre à la France la capacité de produire. On voit que l’agriculture française décroche tous les jours".

Quelle leçon en tirez-vous ?

D.C. : "Il faut que la France donne la capacité à ses filières agricoles et alimentaires de produire l’alimentation dont sa population a besoin et à prix accessibles. Or nous ne sommes plus compétitifs. Il y a un véritable enjeu : redonner à l’agriculture les moyens de produire. On est loin du compte. Un agriculteur sur deux cessera son activité en France dans les dix ans. On perd 27 fermes par jour, soit 100 000 entre 2010 et 2020. Pour nous il est primordial qu’on puisse renouveler les générations d’exploitations, qu’on puisse créer des élevages, avoir accès à l’eau pour améliorer la production et la qualité de nos récoltes, qu’on ait les usines qui permettent de transformer les produits en alimentation accessible à l’ensemble de la population. Nous demandons deux séries de mesures : des mesures qui redonnent aux filières la capacité de produire assez d’aliments aux Français et des mesures contre la précarité alimentaire".


Comment redonner de la compétitivité aux filières de l’agriculture française ?


D.C. : "Redonner de la compétitivité aux filières, c’est ce que j’ai demandé au ministre de l’Économie au mois d’août quand il nous a réunis pour nous demander de faire des efforts en termes de prix face à la question du pouvoir d’achat. Je lui ai répondu que ce qu’il nous demandait allait finalement affaiblir encore plus les capacités de production françaises au profit des importations. Je lui ai fait quelques propositions en faveur de l’investissement, car on voit un recul énorme de l’investissement en agriculture".


Ne risque-t-on pas de voir, à la suite du congrès des 13 et 14 décembre, d’un côté affichée la volonté de souveraineté alimentaire et de l’autre la continuation des entraves administratives ?


D.C. : "C’est exactement ce qui se passe. On a aujourd’hui des pouvoirs publics qui proclament l’ambition de la souveraineté alimentaire, de la compétitivité de nos filières et du renouvellement des générations, mais finalement les moyens mis en œuvre ne sont absolument pas en ligne avec ces objectifs, ils sont même assez régulièrement en contradiction avec eux. Nous, ce que nous demandons, c’est la cohérence de l’action publique avec les objectifs affichés. À cet égard, la question des distorsions de concurrence est une question prioritaire, c’est-à-dire qu’il faut que nous ne permettions pas que puissent être importés des produits qui ne répondent pas aux standards qu’on s’impose en France".


Vous avez évoqué des mesures contre la précarité alimentaire. Lesquelles ?


D.C. : "La question de la précarité alimentaire ne pourra pas être résolue par les seules associations caritatives. Il nous faut bâtir des solutions s’appuyant sur un accompagnement fort de l’État. C’est pour cela que nous plaidons fortement pour le chèque alimentaire depuis 2022 car on voyait déjà que la question de la précarité alimentaire était en train de s’accentuer. Objectivement on ne peut pas avoir dans un grand pays agricole comme la France une fracture sociale par l’alimentation".


Le chèque alimentaire ne risque-t-il pas de subventionner de fait les produits importés ?


D.C. : "C’est tout notre combat. Nous ne pouvons plus avoir cette situation où les exploitants ne peuvent pas assurer l’alimentation de leurs compatriotes et assister à la montée des produits importés, qui sont d’ailleurs souvent des produits qui ne répondent pas à nos standards de production. C’est doublement inacceptable d’être dans cette situation".


La consultation que vous avez menée révèle que les jeunes sont inquiets de voir que le modèle alimentaire ne répond plus à leurs besoins. Est-ce un signal que la période est maintenant mûre pour mettre en évidence auprès des citoyens et des consommateurs les incohérences que vous mentionnez ?


D.C. : "C’est précisément ce que nous avons comme ambition avec un travail collectif au congrès pour essayer d’apporter des réponses. Je suis confiant. Il devient criant qu’on ne peut pas avoir d’un côté un discours pro-alimentaire, pour une alimentation de qualité, qui respecte les grands enjeux de société et qui soit accessible, et de l’autre un discours qui soit anti-production agricole. La pédagogie que nous mettrons en œuvre sera le moyen d’expliquer que nos entreprises sont différentes. J’ai beaucoup entendu les jeunes exprimer des doutes sur ce que sont les grandes entreprises agroalimentaires multinationales, que nous ne sommes pas. Nous sommes des entreprises de territoire".

 

Exergue : « C’était important d’aller faire ce congrès en Bourgogne-Franche-Comté, un des berceaux de la coopération »

Un congrès fermé à la presse

Dijon choisie pour accueillir la première édition d’un congrès national de la Coopération agricole organisé hors de Paris : l’occasion était belle, pour nous, de refléter la teneur des échanges, avec plus de 600 congressistes attendus de toute la France. Cinq thématiques étaient développées lors d’ateliers. Par exemple, il y avait la manière de repenser l’ancrage territorial des productions, un thème que l’exemple d’Alliance BFC (Dijon Céréales, Bourgogne du Sud et Terre Comtoise) peut illustrer avec la marque « Nous Autrement » ou encore la structuration d’une filière protéine régionale à destination de l’alimentation animale avec le projet Profilait… Était également abordé le fait d’être agriculteur et salarié de l’agroalimentaire aujourd’hui et demain, le thème d’une alimentation de qualité accessible à tous, celui de bâtir une alimentation respectueuse de la planète, des hommes et des animaux, ou encore comment reprendre collectivement le pouvoir sur notre alimentation. Il y avait là de quoi alimenter la réflexion de nos lecteurs. Mais le congrès, nous a-t-on répondu, n’était pas ouvert à la presse. Dommage…

Berty Robert