Attaques sur troupeaux
Le loup a-t-il encore frappé ?

Christopher Levé
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Entre le jeudi 25 et le lundi 29 avril, quatre élevages ont été victimes de prédation, dans un secteur à cheval sur l'Avallonnais et le Tonnerrois. Au total, 29 animaux (28 ovins et une génisse), ont été tués. Interrogés, les éleveurs accusent le loup.

Loup
Chez Frédéric Berrier et Philippe Chaumard, éleveurs à Provency, 25 brebis ont été tuées en deux jours.

Le constat est dramatique : en l’espace de quatre jours, pas moins de 28 ovins et une génisse ont été retrouvés morts dans un secteur à cheval sur l’Avallonnais et le Tonnerrois. Quatre nuits de terreur pour les éleveurs, qui ont commencé la nuit du jeudi 25 au vendredi 26 avril, chez Frédéric Berrier et Philippe Chaumard, éleveurs à Provency (Gaec de Marcilly). Au petit matin, les deux éleveurs retrouvent 15 brebis tuées et 6 autres blessées. « Cela s’est passé dans une parcelle à Provency », indique le premier. Mais cela ne s’arrête pas là, puisque 10 nouvelles brebis sont tuées la nuit suivante. « Une a été tuée dans le même pré, les neuf autres dans un pré collé au précédent », continue Frédéric Berrier, précisant que « toutes les brebis ont été attaquées au cou ».
Immédiatement contacté, l’OFB s’est rendu sur place « très rapidement, les deux fois », assurent les éleveurs, qui ont déjà vu leurs troupeaux être victimes d’attaques en 2021 et 2022 avec deux brebis tuées à chaque fois (la piste du loup avait été « non écartée », ndlr).
Après deux attaques coup sur coup, les éleveurs ont peur que d’autres aient lieu. « Lorsqu’on arrive dans le pré et qu’on constate autant de brebis tuées, que l’on revit la même chose le lendemain, on a peur d’y retourner le troisième jour. On n’élève pas des bêtes pour nourrir le loup ou tout autre animal », se désole Philippe Chaumard.
Les deux éleveurs confient également ne pas avoir la possibilité de protéger leurs troupeaux. « On a des chevaux, des vaches et des moutons qui sont ensemble dans les prés. C’est donc difficile de mettre de la clôture, d’autant plus qu’on a 170 ha d’un seul tenant. Il faudrait plusieurs kilomètres de clôture pour faire le tour, ce n’est pas envisageable », assure Philippe Chaumard, ajoutant « qu’avec les vaches et les chevaux, ce n’est pas possible de mettre des patous (des chiens de protection) ».

Des génisses attaquées

À quelques kilomètres de là, Vincent Moiron, éleveur à Courterolles, hameau de Guillon-Terre-Plaine, a retrouvé une génisse de 14 mois, d’environ 300 kg, « éventrée » dans un pré à Cisery. « C’est arrivé dans la nuit du 26 au 27 avril. Quelques jours avant, le 16 avril, j’avais déjà retrouvé une génisse morte près de la mangeoire. Les autres s’étaient sauvées de ma prairie, après avoir arraché la clôture. Je les avais retrouvées dans un pré du voisin, complètement apeurées. À ce moment-là, je n’avais pas fait de rapprochement avec le loup, mais là… ».
La nuit suivante, une nouvelle attaque a lieu dans une parcelle à Massangis, sous des panneaux photovoltaïques. Deux moutons sont retrouvés morts, appartenant à Nicolas Carbognani, éleveur à Châtel-Gérard. Ce dernier nous confie que « ce n’est pas la première prédation que j’ai dans mon cheptel, j’ai malheureusement un peu l’habitude. J’en ai déjà eu huit ou neuf, je ne sais plus exactement car arrivé à un moment, on arrête de compter. Cela faisait un an et demi que je n’avais pas eu d’attaque. Je sais reconnaître une attaque de chien d’une attaque de loup. Là, pour moi, il s’agit du loup, c’est une certitude ».
Il indique que, lui aussi, ne peut pas mettre de chien de protection dans cette parcelle. « On n’a pas le droit, pour une question de sécurité vis-à-vis des employés de la maintenance pour les panneaux photovoltaïques. Mais sur les autres attaques que j’ai eues, qui ont eu lieu dans des prés hors panneaux photovoltaïques, où j’ai un patou et une clôture électrifiée, cela n’a pas empêché le loup de tuer des brebis ».
Nicolas Carbognani confie passer de mauvaises nuits depuis les attaques. « Ça m’empêche de dormir, je suis stressé. Lorsque je me lève le matin, la première chose que je me demande, c’est si je vais avoir encore des pertes dans mon troupeau ». L’éleveur rejette la faute de ces attaques sur l’État qui, selon lui, « doit choisir s’il veut continuer à avoir des élevages, ou s’il veut faire un parc naturel d’ampleur nationale avec des loups ».
Éleveur dans la même commune (Châtel-Gérard), Hugues Trameau (la ferme des cornes) a retrouvé un agneau tué le lundi 29 avril. « C’est la deuxième fois qu’on subit une attaque sur des agneaux », dit-il. « La première a eu lieu l’année dernière. Il y avait aussi eu un agneau de tué. Pourtant, nous avons des patous et des clôtures, que nous avons d’ailleurs dû payer nous-même (il affirme qu’elles n’ont pas été prises en charge par le plan loup, ndlr). Les chiens sont très énervés en ce moment, ce qui montre qu’il y a bien un prédateur dans les parages ».
À l’heure où nous écrivons ces lignes, seul le rapport de l’OFB concernant les premières attaques à Provency est connu : la piste du loup a été « non écartée ».

Pas d'autorisation prévue pour éliminer le loup

Lors des derniers jours, Terres de Bourgogne a pu échanger avec Pascal Jan, préfet de l’Yonne, sur ces attaques. Interrogé sur le fait d’autoriser les tirs pour éliminer le loup, le préfet s’est montré clair : « Pour le moment, non, je n’envisage pas de l’autoriser. C’est une décision qui doit se prendre, ou non, au vu d’un certain nombre de rapports d’expertises. Il faut aussi déterminer si les dernières attaques sont à attribuer à un loup. Il faut savoir que dans ce secteur, d’autres attaques ont déjà eu lieu où il a été avéré que des chiens errants les avaient commises. Aujourd’hui, dans la situation actuelle, sans connaître les conclusions des rapports de l’OFB, je ne peux difficilement faire plus que ce qui a déjà été fait, le loup étant une espèce protégée par un engagement international ».
Le préfet rappelle qu’à son arrivée dans l’Yonne, il avait pris une décision concernant les indemnisations en cas d’attaque : « dès lors qu’il y a un doute, il profite à l’éleveur avec une indemnité. Cela n’enlève pas le choc psychologique que peut représenter une attaque, ni la perte économique, mais c’est une mesure qui tend à créer un climat de compréhension ».
Également interrogée sur le sujet, indique qu’en ce qui concerne les attaques sur bovins, « depuis 2022, il y a eu 8 constats effectués par l’OFB. Un seul constat est ressorti en « loup non écarté » (en 2023). Les autres constats n’ont pas été considérés comme liés à une prédation lupine ».
Elle souligne aussi qu’à la suite des attaques, « il y a eu une très grande réactivité et disponibilité de l’OFB qui s’est déplacé systématiquement, y compris pour un constat complémentaire. La DDT avait aussi adressé, dès le vendredi 26 avril, des messages d’alerte aux éleveurs du secteur ».

Un accompagnement psychosocial par la MSA

Lors d’attaques de ce type, la MSA Bourgogne contacte systématiquement les éleveurs, quelques jours après les faits, pour leur proposer un accompagnement psychosocial. « Nous sommes prévenus lorsqu’il y a une attaque de prédation par le biais de la DDT », indique Hélène Dapvril, présidente du comité départemental de l’Yonne, pour la MSA Bourgogne, qui précise que la MSA revient vers les éleveurs une seconde fois « 3 à 6 mois après ».
L’an dernier, des groupes d’échange avaient été créés dans l’Yonne et la Saône-et-Loire pour que les éleveurs ayant subi des attaques de prédation puissent venir échanger entre eux et avec une travailleuse sociale de la MSA, ainsi qu’une psychologue. Des groupes qui peuvent être activés « à tout moment, selon les besoins des éleveurs ».
Hélène Dapvril précise également qu’en Côte-d’Or, en partenariat avec le syndicat ovin, « la MSA a financé des clôtures mobiles (dont la distribution est gérée par le syndicat, sur un principe de permanence 7 j/7). Lors d’une attaque de prédation, les éleveurs du secteur concerné reçoivent une alerte pour les prévenir. Ces derniers peuvent alors demander à ce que soient mises à disposition ces clôtures mobiles. C’est une procédure expérimentale à l’échelle du département ».