Découverte
Jardin Vavilof, l'internationale végétale

Justine Demade Pellorce
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Direction les jardins la chartreuse de Neuville, joyau historique régional, labellisés Jardins conservatoires Vavilof. La plus ancienne banque de graines au monde compte sur ces terres pas-de-calaisiennes pour cultiver son jardin mondial.

Jardin Vavilof, l'internationale végétale
Les jardins sont divisés en quatre zones : les plantes médicinales, les plantes d'ornement, les plantes sauvages et le potager. (Photo J. D-P)

À Neuville-sous-Montreuil (Pas-de-Calais), la chartreuse est un joyau historique, nous vous l’avons déjà dit (lire aussi notre édition du 7 juillet). C’est aussi un jardin. Pas immense par la taille (6 000 m2 cultivés sur 12 hectares d’espaces verts), mais d’une importance considérable : il fait partie du collectif Vavilof (voir encadré), qui n’est pas moins que la plus ancienne banque de graines au monde. Outre ses dimensions locale et éducative, le jardin pas-de-calaisien prend donc sa part dans la conservation, en terre, d’espèces rarissimes. Une forme d’internationale végétale pour celui qu’on surnomme « le grenier du monde ».

« Ce que nous faisons ici illustre le travail des moines d’autrefois ». Baptiste Dufour est le guide du jour : titulaire d’un BTS de gestion et protection des espaces naturels, il a été ingénieur en dépollution des sols pendant cinq ans avant d’en avoir « ras le bol des sites pollués » et d’avoir « envie de travailler en amont ». C’est notamment « l’ingéniosité de la nature » qui fascine le jeune homme. Responsable des jardins de la chartreuse depuis 2017, il prévient que si « la graine est importante », son cœur de métier est l’éducation. « Nous n’avons pas beaucoup de moyens et le jardin n’est pas très beau mais c’est un super terrain de jeu pour embarquer les gens dans des pratiques vertueuses et une philosophie ».

Car ce jardin, ouvert au public, s’ambitionne en démonstrateur. « Le jardin repose sur les trois piliers du développement durable : environnemental (zéro phyto…), économique (l’entrée est payante, une partie des graines vendues, des ateliers organisés…) et social. Il est notamment géré par des bénévoles non qualifiés, des services civiques, des groupes de personnes handicapées ou venant d’instituts médico-éducatifs (IME), ou de services d’addictologie : tout ça prend du temps, mais donne du sens », pose Baptiste Dufour tout en ralliant la serre des jardins. « Salut Loulou », lance-t-il à Louis, « jeune service civique à l’âme de jardinier ». Ici, on prépare les semis pour l’automne, on stocke les plantes fragiles en hiver et, surtout, on fabrique la terre. Un acte créationniste presque, militant surtout : « C’est la forêt qui crée la terre : du compost et du minéral, l’agriculture a souvent tendance à l’oublier ».

Hier, pour demain

Après la serre, les plantes médicinales sont le rapport évident à la tradition des lieux : « Les moines étaient lettrés et pouvaient traduire les textes orientaux, très en avance sur l’utilisation médicinale des plantes. Nous, ne sommes pas phytothérapeutes mais nous sommes là pour montrer la diversité des plantes ». Une culture qui se perd en France, à force d’interdictions et de réglementations au grand regret de notre jardinier.

Le deuxième carré du jardin est dédié à l’ornement, dans la tradition de fleurissement des chapelles et des autels. Ici, des petits carrés fleuris de fleurs rustiques, pas ou peu modifiées. De façon générale, le jardin est autonome en graines et ne reçoit aucun traitement chimique. « Pas d’engraissage, pas d’arrosage : nous maltraitons plutôt un peu nos plantes, afin qu’elles se renforcent », explique Baptiste Dufour.

Le troisième carré reprend l’idée du cloître : épuré, il est voué à la méditation. Enfin, le potager qui compte une collection sauvage, une collection régionale et une collection mondiale issue de l’Institut Vavilof. Ici on cultive des céréales et des légumes du monde entier avant de renvoyer une partie des graines à l’institut, qui conserve ainsi des végétaux d’hier adaptés à aujourd’hui. Pour demain.

Nikolaï Vavilof, pionnier de la conservation

L’institut Vavilof, basé à Saint-Pétersbourg (Russie), a été fondé par Nikolaï Vavilof en 1894. L’agronome russe a parcouru le monde entre 1920 et 1940 pour collecter une grande diversité de végétaux (céréales, fruits, légumes) : aujourd’hui l’institut conserve environ 360 000 variétés nourricières, dont 80 % n’existent plus ailleurs.

500 scientifiques travaillent pour l’institut, dans 11 stations à travers la Russie ainsi que quelques jardins en France dont celui de Neuville-sous-Montreuil, dans le cadre du collectif Vavilof France Russie. Spécificité : la conservation en terre. Les graines sont cultivées depuis l’origine, permettant une adaptation aux évolutions climatiques et agronomiques. Les autres banques de graines sont, elles, congelées, avec les risques que cela comporte en cas de rupture d’alimentation ou de fonte du permafrost où une banque de graines enfouie sous la glace en Norvège commence à en subir les conséquences.