Le syndicat d'élevage ovin a convié l'administration à un rendez-vous « pédagogique ». L'incompatibilité du métier avec la présence du loup a été illustrée à cette occasion.
Protéger une troupe ovine contre le loup paraît impossible en Côte-d’Or. « Contrairement aux zones de montagnes, ici, nous avons une multitude de petites parcelles, souvent éloignées des bâtiments », souligne Julien Pané, président du syndicat d’élevage ovin. Le temps nécessaire pour mettre en place les dispositifs proposés – puis les entretenir — pourrait représenter un plein-temps pour chaque éleveur. Pour ne rien arranger, les aides financières ne suffisent pas pour acquérir l’ensemble du matériel qui, de toute manière, n’est pas fiable à 100 %. « Il est impossible de cohabiter avec le loup, nous avons l’impression de nous rabâcher, mais c’est comme ça. Cette menace de la prédation, nous n’en avons pas besoin. Les éleveurs n’en veulent pas », enchaîne le jeune éleveur de Dampierre-en-Montagne. Ce dernier, avec des membres de son équipe syndicale, a tenu à « réexpliquer » ces différentes problématiques techniques à l’administration. Des représentants de la préfecture, de la DDT et de l’OFB étaient ainsi conviés le 8 août sur l’exploitation d’Hubert Mony à Francheville.
La réalité du terrain
« L’idée était de proposer une journée pédagogique et de leur montrer la réalité du terrain, avec toutes les spécificités topographiques et les contraintes de l’élevage ovin en Côte-d’Or », insiste Julien Pané. Hubert Mony a proposé la visite d’un parc de 25 ha : l’ensemble des installations a coûté la somme de 8 000 euros, avec 5 000 euros directement « sortis de la poche » de l’éleveur. Deux mois de travail, à deux, ont été nécessaires pour mettre en place ce dispositif comprenant notamment l’électrisation, un double filet et des caméras : « Il y a bien sûr tout l’entretien qui s’ensuit, comme pour toute clôture électrique. La semaine dernière, un arbre est tombé et il a fallu intervenir. Toute la partie désherbage est très importante. Cette installation n’est même pas sûre à 100 % contre le loup, selon moi. Malgré tous ces efforts, seulement 10 % de la surface de ma ferme est équipée, ce n’est pas sérieux… Ce schéma n’est pas transposable dans la plupart des autres élevages du département : les parcs sont bien plus petits et avec beaucoup plus de végétation que dans cette parcelle ».
Réactions
Marc Frot (président de la commission agricole du Conseil départemental) : « La démarche du syndicat d’élevage ovin est bonne, il faut toujours expliquer les choses sur le terrain. Ceci étant dit, je me pose beaucoup de questions sur cette problématique, je suis même très inquiet. Comment le loup peut-il être autant protégé, alors que ce prédateur met clairement à mal une profession ? Apporte-t-il quelque chose sur le plan écologique ? Il faudrait que l’on me le prouve. Et même si cela était le cas, pourquoi ne pas réduire à 200 voire 150 le nombre de loups au niveau national ? Il y aurait moins de dégâts qu’aujourd’hui… Je le redoute fortement : nous risquons de tourner en rond un bon bout de temps sur ce dossier ».
Christophe Lechenault (président du pôle élevage de la Chambre d’agriculture) : « Les parcellaires très éloignés que nous avons en Côte-d’Or rendent impossible la protection des élevages ovins et ce, malgré les aides financières dont les éleveurs peuvent bénéficier. Les quatre ou cinq éleveurs qui étaient présents aujourd’hui ont entre 8 et 20 parcelles à protéger. Ce que nous avons vu chez Hubert Mony est impressionnant mais aucunement transposable partout, pour un tas de raisons. En arrivant sur place, j’ai eu l’impression d’être à Valduc, à l’approche d’un centre nucléaire tellement tout est électrifié… Les Patous ne sont pas non plus une solution : il en faudrait au moins un par parcelle… Le secrétaire général de la préfecture a même évoqué l’idée de recruter des bergers pour garder les troupeaux. Ce n’est pas non plus la solution selon moi ».
Arnaud Deschamps (éleveur à Poiseul-la-Ville) : « Nos élevages ne peuvent pas être protégés face au loup, nous l’avons bien mis en avant aujourd’hui avec notre parcellaire morcelé. Les moyens de protection qui nous sont proposés sont trop compliqués à mettre en œuvre et de toute façon, ils ne sont pas fiables. Il n’y a pas solution face au loup à part son déclassement ! En attendant que les choses bougent, un jour, nous croisons les doigts pour que ce prédateur ne vienne pas chez nous. Dans mon cas, je me rends à deux reprises, chaque jour, sur mes différents parcs : je redoute à chaque fois de retrouver des brebis égorgées ».
Jean-Marie Guyot (éleveur à Diancey) : « Notre secteur n’est pas du tout adapté à ces moyens de protection, il fallait que l’administration s’en rende compte. Tout est ingérable, je pense notamment à l’entretien de ces dispositifs électriques… Nos interlocuteurs du jour ont compris nos positions, mais de là à ce qu’il y ait des avancées dans ce dossier prédation, c’est autre chose… La pression du loup reste présente avec des attaques ponctuelles sur ovins et même sur bovins, tout cela inquiète. Il nous faut des réponses, notamment pour les jeunes qui veulent s’installer. La proposition du jour visant à employer des bergers pour surveiller nos parcs m’a surpris. C’est utopique. Nous n’arrivons déjà pas à trouver un salarié agricole… Que devons nous faire à court terme ? Tout mettre en œuvre pour limiter la propagation du loup serait déjà un bon point ».
Hubert Coucheney (éleveur à Planay) : « Ce type de rencontre permet de mettre les choses au point, même si rien n’est évident pour autant. J’ai trouvé nos interlocuteurs plutôt optimistes sur ce dossier, je ne partage pas forcément ce sentiment. Tant que le loup sera protégé comme il est aujourd’hui, il ne sera pas facile d’avancer. Il faudra surveiller de près les avancées du nouveau plan loup ».
Julien Pané : « Une certaine lassitude s’est installée chez nous. Nous avons sans arrêt des charges en plus, que se soit financières, de travail et même mentales, sans aucun revenu supplémentaire en face… Quel chef d’entreprise sain d’esprit accepterait cela ? Certes, nous recevons quelques aides obtenues après de fastidieux dossiers, mais nous n’avons pas vocation à être des mendiants ».